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Réflexions sur le beau et le laid

Comment détermine-t-on ce qui est beau et ce qui est moche...?

C'est probablement un des sujets les plus subjectifs, par définition. Et pourtant, chacun tente en permanence d'exprimer sa vision de la beauté comme une vérité indiscutable. Vous aurez j'imagine tous de multiples exemples en tête, de conversations que vous avez eues pour discuter d'à quel point telle ou telle chose que vous trouviez atroce semblait magnifique pour d'autres.

Prenons un premier exemple. Sur un site d'images libres de droit, je recherche "magnifique maison", voilà un des premiers résultats :

Grande maison

Source : pixabay.com

Que voit-on sur cette photo de "magnifique maison" ? De la symétrie, des formes géométriques, du propre. Quelques signes de richesse : espace, piscine, confort.

Qu'est-ce que moi je vois sur cette photo ? Pour être honnête, je m'imagine bien dans la piscine, profiter de l'endroit qui a l'air calme et agréable. Mais comme avec les illusions d'optique, une observation prolongée démasque peu à peu les artifices et révèle l'envers du décor. Sous cette magnifique piscine et le sol qui l'entoure, des mètres cubes de béton. Des films plastiques d'étanchéité pour empêcher l'humidité du sol de remonter. Le large escalier et la maison reposent également sur des fondations en béton qui ont nécessité une consommation délirante de ressources : carrières et cuisson à haute température pour le ciment, creusage des berges de rivières pour le sable, encore des carrières et des machines pour les agrégats, puis des milliers de litres d'eau douce pour mélanger le tout, probablement à l'aide de grosses bétonnières à moteur thermique. Et avant même de couler cette "roche liquide" que sont le béton et ses dérivés, on imagine bien que la turbulente nature qui se tenait à la place de la maison a été méthodiquement rasée, creusée puis mise à plat par des tractopelles.

Sous ces centaines de tonnes de matériaux artificiels, un sol étouffé dans lequel peu de vie subsiste. Après le compactage par les engins de chantier, la couche de béton empêchera définitivement les échanges entre la terre et l'air. Une frontière implacable entre deux éléments qui ont besoin l'un de l'autre et dépériront séparés.

Pour finir sur ma perception de cette "magnifique maison", quiconque a déjà travaillé professionnellement ou à titre personnel dans le bâtiment sait pertinemment le déluge de déchets et de sous-produits malsains que la construction génère à coup sûr.

Où est-ce que je veux en venir ? Et bien en observant cette image considérée comme "belle", je ne vois presque plus que de la laideur.

Au chapitre 38 d'Octa, Amandine qui observe à distance une grande ville et ses habitants se fait cette réflexion : "Dans sa quête perpétuelle du « beau », l’humain ne faisait qu’engendrer plus de laideur."

Observons maintenant cette photo que j'ai prise au Mexique :

Maisons pourries au Mexique

Cet empilement de maisons non terminées, aux menuiseries manquantes et aux tons ternes serait globalement considéré comme l'inverse de notre "magnifique maison". Des "maisons moches".

Et pourtant, si on regarde mieux, ces bicoques ont généré bien moins de pollution que la belle maison pour être construites. Plus on demande un niveau de finition élevé, de peintures, de confort, et plus l'impact sur la nature sera élevé.

Alors attention : je ne dis absolument pas que ces bidonvilles sont une bonne chose. Si vous avez lu Octa, vous savez déjà que je raserais aussi bien la "magnifique maison" que les moches et que je laisserais la nature reprendre ses droits pour de bon. Je dis juste qu'au point de vue logique, dans le cas de ces constructions, plus de beauté sera synonyme de plus de laideur cachée...

Si vous connaissez le syndrome de la vallée de l'étrange (habituellement illustré avec l'exemple des humains comparés aux robots humanoïdes plus ou moins ressemblants), on peut ici faire un parallèle avec trois cas de figure :

  1. La "magnifique maison" : c'est beau. C'est un objet artificiel mais l'observer suscite des émotions agréables
  2. Les bidonvilles mexicains : c'est moche. On ne sait pas si c'est fini/en chantier, habité/abandonné, une ville/un terrain vague un peu boisé. L'observation de ces blocs de béton disparates suscite du dégoût, du malaise.
  3. N'importe quel site naturel dit "remarquable" (cascades, montagne, lac, plage...) : c'est beau. C'est pourtant naturel, une nature qui nous fait peur car dangereuse et sale... Mais l'observer suscite des émotions agréables.

Notre bidonville mexicain est donc ici l'équivalent du robot humanoïde mal fait ou  du patient dont la greffe de visage a raté : on sait ce que c'est sensé être, mais ça n'y correspond pas totalement. C'est dérangeant car notre cerveau n'arrive pas à classer le sujet dans la bonne case.

Et pour développer sur le point numéro 3 de la liste ci-dessus : on peut trouver la nature belle, mais il faut qu'elle soit présentable. Les critères de beauté que nous appliquons aux écosystèmes non artificialisés sont assez précis et limités. C'est beau de loin, le décor de carte postale est agréable, c'est "instagrammable". Mais dès qu'on zoome, tout n'est qu'irrégularité, mélange hétérogène et surfaces qu'on devine inconfortables. L'humain aime le plat, l'herbe tondue, les arbres taillés, la nature rangée et présentable. L'aboutissement extrême de ce raisonnement tordu peut se voir dans la plupart des maisons de lotissement en France, dont les propriétaires en arrivent à ne tellement plus tolérer la nature qu'ils bétonnent tout leur jardin. "J'en avais marre de devoir toujours tondre" ou "la terre c'est trop poussiéreux, quand on rentre dans la maison ça salit tout", j'en passe et des meilleures.

Pour finir, observons cette photo prise au Guatemala :

Décharge sauvage au Guatemala

La zone blanche au centre de l'image est une immense montagne de déchets, vidés sans aucun tri préalable dans un ravin. J'ai pris cette photo à proximité du site naturel de Seymuc Champey, réputé pour ses cascades et bassins aux eaux turquoises où les touristes se ruent. Précisons que j'ai pris l'exemple du Guatemala car là-bas c'était vraiment flagrant et omniprésent, mais d'une part en France j'ai connu les mêmes décharges avant le déploiement des déchetteries au début des années 2000, et d'autre part nous avons encore des sites industriels d'enfouissement et de stockage de déchets. La zone est délimitée, il y a (officiellement) un tri fait à l'entrée et quelques aménagements type récupération des eaux de pluies et bâches anti-contamination sont faits... Mais foncièrement, aucun pays riche n'est vraiment très loin du Guatemala.

Conclusion

Avec ses idées bien arrêtées de ce qui est beau ou laid, l'homo sapiens s'est depuis longtemps écarté d'un mode de vie naturel. Nous sommes dans un schéma complètement différent du reste de toute la vie terrienne. Si on pouvait demander à un insecte de comparer deux photos : l'une représentant une vue aérienne d'une grande ville entourée par la nature qu'elle n'a pas encore rasée, et l'autre ma photo ci-dessus d'une décharge sauvage en pleine nature... À mon avis, cet insecte dans sa sagesse naturelle nous répondrait simplement : "They are the same picture."



flomoto 24 juillet 2025 13:10  - 

1 commentaire

Ou

flomoto 25 juillet 2025 - 22:59

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